Quand une naissance arrive dans une famille aujourd’hui, on envoie un SMS à tout son carnet d’adresses, avec la photo du nouveau-né. On voudrait annoncer la nouvelle au monde entier pour que la joie remplisse les cœurs ! Dans l’Evangile, c’est la même chose. Des millions d’étoiles sont allumées dans la nuit. Les anges veulent annoncer la naissance de Jésus au monde entier. Noël est la fête de la joie. Et l’ange précise : « Je vous annonce une grande joie pour tout le peuple. » Car la joie ne peut être une vraie joie que si tout le monde peut la vivre. C’est pour cela que les premiers à qui elle est annoncée sont des bergers. Ces hommes pauvres vivant en marge des villes étaient souvent mal considérés, soupçonnés d’être des « chapardeurs ». C’est à eux que la nouvelle est annoncée en priorité.

Sinon, ils auraient risqué d’être oubliés, de rester en marge, et la joie n’aurait pas été une joie pour tous. Les santons de Provence résument bien cela : c’est tout le village dans sa diversité qui est invité à la crèche, les riches comme les pauvres.

L’origine de Noël

Le mois de décembre reste, encore de nos jours, communément désigné comme le « mois des Lumières ». C’est en cette période de l’année que l’impulsion spirituelle de la saison prépare l’humanité pour de belles promesses.

Dans les traditions pré-chrétiennes, on célébrait déjà la nuit de 24 décembre qu’on appelait la « fête de la Lumière », par des grandes festivités…La commémoration de cette journée d’enfantement, célébrée en grandes pompes, se perd dans la nuit des temps.

Les Saturnales, sous l’antiquité romaine, se déroulaient également pendant la période précédant le solstice d’hiver. Le 25 décembre était d’ailleurs une date importante pour les Romains, puisqu’il s’agissait du jour de la naissance de Sol Invictus, le soleil invaincu.

Par ailleurs la période astrologique du Sagittaire, désigné comme « feu sous la cendre », symbolisait la période de maturation des énergies à l’intérieur des choses et de l’être, avant de renaître, tel un phœnix. Durant toute cette période, les forces de la nature s’intériorisent, se contractent pour se recentrer et se purifier dans le sein de la Terre-Mère. C’est le mois qui conclut l’année, en beauté…

L’Histoire nous montre que la fête de Noël trouve ses origines dans des rites païens. Dans un pays où la religion dominante est catholique, la crèche a progressivement supplanté les célébrations précédentes. La période de fin de l’année, dans les douze jours que l’on situe entre Noël et l’Épiphanie, a toujours été marquée par des fêtes, des banquets, des bûches dans les cheminées et de la verdure dans les intérieurs, c’est un décor particulier pour fêter les derniers jours de la nuit et le retour à la clarté et à la renaissance de la nature.

Une période de générosité, de cadeaux, de promesse de printemps, de luxuriance de la terre et des récoltes… La crèche, symbole de nativité, s’intègre parfaitement dans cette imagerie populaire et plutôt « païenne ».

Noël, voici venu le temps de la Parole. Voici que, du tréfonds des nuits de nos mutismes, se propage un murmure. Oui, annoncer, dire, crier, hurler à la face du monde que désormais c’est l’amour impossible qui est le seul possible qui soit digne, et de l’homme et de Dieu. Dire, ou plutôt laisser dire en nous, parfois à travers nous, une Parole qu’on croyait scellée, emmurée, étouffée ; une Parole contre le désarroi du monde et l’infinie douleur de vivre.

Noël, comme un itinéraire sacré, une route intérieure qui nous mènerait tout droit vers la fraternité, pas celle des beaux discours, mais celle des mains tendues par-delà les souffrances et la mort, la haine et l’indifférence. Haute voie de l’impossible qui, soudain, devient chemin escarpé des possibles. Et l’homme qui marche, qui grimpe ce sentier, s’élève et se relève et grandit à chaque pas qu’il fait vers la cime de la Parole qui lui murmure, toujours et sans cesse : « Viens, suis-moi ! » Chemin rude, chemin à perdre souffle. Car la vie nous est lourde, difficile, déprimante et inattendue, telle que nous la subissons aujourd’hui avec ce petit virus qui chamboule nos vies.

Faisons nôtre plus que jamais cet enseignement que Jésus est venu apporter sur terre, il y a 2020 ans : Aimons-nous les uns et les autres, aimons même ceux qui se comportent comme des ennemis et qui dénaturent. Le temps est venu pour la période de la compassion, de la réconciliation, de la compréhension, du pardon et de l’amour.

Ceux qui vivent dans la misère et l’humiliation quotidienne ont une façon particulière de partager le rituel de Noël et de lire l’Evangile, à partir de leur expérience de vie. Comment se fait-il que la fête de Noël soit si importante dans le cœur des plus pauvres, même de ceux qui ne sont pas chrétiens ? Remémorer et entretenir les souvenirs peut procurer plus de plaisir que les cadeaux. Ne se retrouvent-ils pas profondément dans l’histoire de la naissance de Jésus ! La joie de la naissance de cet enfant porte en elle l’espérance des pauvres ; dans la plupart des dénuements ce besoin de partager avec ses proches cette période particulière de paix, d’éclairage et de réconciliation est salutaire.

Noël : le « dénuement libérateur »

Jésus veut ainsi nous signifier que seule la vie de l’homme a de la valeur à ses yeux, que tout le reste est éphémère et insignifiant. Sa pauvreté matérielle et son détachement des biens d’ici-bas lui donnent la force de dire leur quatre vérités aux puissants de ce monde et d’adresser des mots de compassion à tous les persécutés de la terre.

Nous savons bien que le vrai partage de Noël se situe avant tout dans la relation. C’est la chaleur de l’échange les uns avec les autres que nous cherchons tous à Noël. Les cadeaux ne sont vrais que s’ils sont un signe de cette relation. Comment donc vivre Noël en évitant que des personnes restent seuls, isolées, oubliés ? Sinon, ce ne serait plus vraiment Noël.

Nous n’oublions pas les exilés et tous les migrants qui fuient la persécution ou la famine. Souvenons-nous que Jésus, dès sa naissance a dû fuir en Egypte avec Joseph et Marie parce que sa vie était en danger, comme les exilés d’aujourd’hui.

Ses fidèles disciples sont appelés, aujourd’hui plus que jamais, à Le contempler dans sa crèche, pour l’imiter dans son dénuement et pour retrouver en cela la force d’une liberté leur permettant d’affronter les faux prophètes de notre temps, qui mènent nos contemporains à la dérive et au chaos d’un monde sans repères, ni foi, ni loi.

La force des rituels

Ces fêtes de fin d’année concentrent le plus de rituels et de traditions. Noël est loin de n’être qu’un rendez-vous confessionnel. L’aspect chrétien est important mais s’y mêlent des rites ordinaires et un cérémonial souvent propre à chaque famille.

C’est la messe de minuit qu’on ne rate pas, même si on ne met jamais les pieds dans une église ; le menu du réveillon, immuable d’une génération à l’autre et le rituel d’une chorale improvisée.

On passe en boucle des CD de chants de Noël, c’est incontournable. Les enfants trouvent cela ringard, mais c’est la madeleine de Proust pour les adultes ! De nombreuses radios, plateformes musicales en ligne et applications créent même leur playlist « spéciale réveillon » pour diffuser un fond sonore idéal.

Ces témoignages incarnent le besoin de se retrouver autour de souvenirs communs propres à cette période. Ce moment privilégié permet de maintenir les liens, nécessaires dans une période où le manque de repères peut créer de l’angoisse.

Alors, en cette année, si troublée et pleine d’incertitudes, contemplons nos crèches de Noël avec le regard de toutes celles et ceux qui vivent des vies difficiles et qui trouvent un grand réconfort autour de cet enfant démuni, qui vient au monde dans la mangeoire du bétail au milieu des bergers Et soyons solidaires, ensemble, pour porter cette espérance à tous.

On dit qu’une belle histoire se termine par des chansons.

Traduit dans plus de 300 langues, « Douce nuit, sainte nuit » fait partie des plus célèbres cantiques de Noël. Entonné pour la première fois le soir de Noël 1818, ce cantique aux paroles à la fois si simples et si justes réveilla une certaine émotion. Pour cette douce évocation de la Nativité, ce fut le début d’un long voyage. Par le jeu du bouche-à-oreille et des migrations, l’air s’exporta rapidement à travers les continents. Mais ce sont les missionnaires catholiques et protestants qui le firent connaitre à la fin du XIXème siècle. Et depuis, chaque année, des millions de personnes l’écoutent ou le chantent, lors de la messe de minuit ou en famille.

Douce nuit, sainte nuit !

Dans les cieux ! L’astre luit.

Le mystère annoncé s’accomplit

Cet enfant sur la paille endormi,

C’est l’amour infini !

C’est l’amour infini !

Saint enfant, doux agneau !

Qu’il est grand ! Qu’il est beau !

Entendez résonner les pipeaux

Des bergers conduisant leurs troupeaux

Vers son humble berceau !

L’évocation de Noël me fait resurgir deux Noëls inoubliables que j’ai partagé :

Noël 1972 : médecin des réfugiés au Sud Vietnam

Accompagné d’un prêtre des Missions Etrangères, je me rends dans un des nombreux villages de réfugiés qui ont fui le communisme. Le prêtre, lui aussi originaire du Nord Vietnam m’attend. J’étais venu lui rendre visite il y a un mois pour soigner une longue colonne de ses paroissiens malades. Je me suis osé à lui faire une proposition plutôt farfelue : profiter de la fête de Noël pour réunir les protagonistes de la guerre : les soldats du Nord Vietnam, (venus épauler les Vietcongs du Sud) et les soldats du Sud Vietnam, un pari hautement aléatoire !

A mon arrivée au village le matin de Noël, le prêtre m’accueille avec un large sourire : « Docteur ! je pense qu’on va assister à un miracle ! Ils seront tous là… »

Pour m’assurer de la présence des « combattants communistes, j’avais pris contact, dans une vaste forêt, avec les officiers dont je soignais leurs soldats, malades ou blessés. Ils leur était difficile de refuser !

Lors de la messe de Noël, l’église était pleine. Des centaines de poitrines jaillissaient le « Minuit, Chrétiens ! C’est l’heure solennelle, où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous ». Après la cérémonie, émotionnellement très intense, nous avons partagé le repas qui a donné lieu à des échanges fraternels et une réconciliation bien improbable.

Cette rencontre inédite m’a rappelé un film surréaliste relatif à la nuit de Noël, lors de la guerre de 14-18 ; les soldats français, anglais et allemands s’étaient octroyés une parenthèse pour exprimer leur humanité ; tous sortirent de leur tranchée pour jouer au foot et en fin de rencontre trinquer au champagne (français) et au vin blanc (de Rhénanie). Belle leçon à l’adresse des va-t-en-guerre !

Noël 2018 à Maaloula en Syrie

Après m’être rendu à Damas en 2013 avec l’Association des Chrétiens d’Orient, je suis retourné, à l’appel d’un prêtre exerçant dans une abbaye de Maaloula, petit ville atypique située à 100 kms à l’Est de Damas. Elle se résume en une colline abrupte recouverte de 6 abbayes. Dans ce haut lieu sacré on y parle l’Araméen, la langue du Christ. Le nom de cette ville martyre a fait le tour du monde. Les barbares de Daech avaient procédé au massacre des chrétiens.

A Noël 2018 je suis retourné dans ces lieux saints et rendu visite à des parents, rescapés de la tuerie, qui ont vu leurs 3 fils (de 16 à 18 ans) assassinés. Ces adolescents auraient eu la vie sauve s’ils s’étaient convertis. Ils sont morts en martyre, sans renier leur religion.

En visitant une abbaye je suis tombé sur un général russe accompagné de 7 soldats. La présence d’un médecin français l’intrigue. Je lui explique que je suis venu pour financer la construction d’une petite clinique avec les dons reçus des lecteurs de mon site. Malheureusement le chèque ne pouvait financer que la construction d’un petit dispensaire. Devinant ma déception, le général s’est engagé à réaliser ma promesse ; j’ai appris qu’il avait fait appel à ses compatriotes pour financer la construction de la clinique et rebâtir des logis pour les plus démunis.

Un petit miracle de Noël a illuminé cette ville martyre !

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Puisque ces réjouissances s’organisent autour de la célébration de la naissance du Christ, nous pouvons nous demander comment cet évènement mystérieux d’il y a plus de deux mille ans, a pu prendre une telle dimension, pourquoi une émotion sincère saisit tant d’hommes et de femmes, chrétiens convaincus ou non, quand revient le temps de Noël. Est-ce l’occasion qui nous est donnée de pouvoir oublier durant quelques instants nos souffrances physiques et morales qui nous assaillent en ces périodes troublées ?

Si Dieu a percé le mur qui sépare la réalité divine de la réalité humaine, alors l’histoire des hommes change. Le dernier mot de l’Histoire n’est plus laissé au cynisme, à la violence et à la solitude. Quels que soient les aléas de notre vécu et nos refus d’aimer, l’espérance de la miséricorde et du pardon nous ouvre un chemin de vie et de renouveau.

Ouvrons-donc nos cœurs pour que la joie se répande à l’occasion de Noël.

Une efflorescence d’élucubrations

Avec Noël, on est dans l’intime, cette fête représente un espoir pour le monde. On ne touche pas impunément à ce grand moment privilégié.

Même un président de la république ne peut se permettre de rendre des oracles sur le déroulement de cette période ; nous ne sommes pas ses assignés !

Le professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale a côtoyé le blasphème, lorsqu’il conseille au couple et aux petits enfants « de partager l’agape au salon, tandis que papi et mamie se contenteront de rester dans la cuisine ». Ils n’ont pas droit à l’effusion familiale ! No comment !

« Nulle fête liturgique n’est plus populaire que Noël. Seule elle connaît la singulière fortune de réconcilier, dans une commune allégresse, ceux pour qui elle commémore la naissance de Dieu et ceux pour qui elle ne signifie rien. Le plus incroyant célèbre la féerie de Noël pour la chaleur humaine qu’elle procure ; c’est un fait d’histoire que cette vénération universelle ; les fêtards des réveillons en témoignent à leur façon… » Daniel Rops, Jésus en son temps.

« Le Noël de cette année-là fut plutôt la fête de l’enfer que celle de l’Évangile ». Camus, la Peste.

Et pour terminer…

« Lorsque l’enfant parait… », écrivait Victor Hugo.

« Y a de la joie… » répondait Charles Trenet.