Depuis les origines des temps, les hommes célèbrent le solstice d’hiver. Enfin, à l’issue de la nuit la plus longue de l’année, après des mois d’austérité, la vie en jachère va pouvoir à nouveau s’épanouir. Quel motif plus légitime de réjouissance ? Car la nature qui ressuscite après le sommeil de l’hiver apparaît comme un miroir en creux de nos existences, lesquelles n’ont souvent rien d’un long fleuve tranquille. Dans Retour à Tipasa, Albert Camus écrit : « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». Difficile de dire plus sublimement qu’au-delà des pesanteurs, l’étincelle de vie demeure en nous, intacte. Et qu’elle ne demande qu’à être ravivée.
L’Histoire nous montre que la fête de Noël trouve ses origines dans des rites païens. Dans un pays où la religion dominante est catholique, la crèche a progressivement supplanté les célébrations précédentes. La période de fin de l’année, dans les douze jours que l’on situe entre Noël et l’Épiphanie, a toujours été marquée par des fêtes, des banquets, des bûches dans les cheminées et de la verdure dans les intérieurs, c’est un décor particulier pour fêter les derniers jours où la nuit l’emporte sur le jour, le retour à la clarté et la renaissance de la nature.
Une période de générosité, de cadeaux, de promesse de printemps, de luxuriance de la terre et des récoltes… La crèche, symbole de nativité, s’intègre parfaitement dans cette imagerie populaire et plutôt « païenne ».
Noël, voici venu le temps de la Parole. Voici que, du tréfonds des nuits de nos mutismes, se propage un murmure. Oui, annoncer, dire, crier, hurler à la face du monde que désormais c’est l’amour impossible qui est le seul possible, le seul digne de l’homme et de Dieu. Dire, ou plutôt laisser dire en nous, parfois à travers nous, une Parole qu’on croyait scellée, emmurée, étouffée ; une Parole contre le désarroi du monde et l’infinie douleur de vivre.
Noël, comme un itinéraire sacré, une route intérieure qui nous mènerait tout droit vers la fraternité, pas celle des beaux discours, mais celle des mains tendues par-delà les souffrances et la mort, la haine et l’indifférence. Haute voie de l’impossible qui, soudain, devient chemin escarpé des possibles. Et l’homme qui marche, qui grimpe ce sentier, s’élève et se relève et grandit à chaque pas qu’il fait vers la cime de la Parole qui lui murmure, toujours et sans cesse : « Viens, suis-moi ! » Chemin rude, chemin à perdre le souffle. Car la vie nous est lourde, difficile, déprimante et inattendue, telle que nous la subissons aujourd’hui avec ce petit virus qui chamboule nos vies.
Faisons nôtre plus que jamais cet enseignement que Jésus est venu apporter sur terre il y a 2020 ans : aimons-nous les uns et les autres, aimons même ceux qui se comportent comme des ennemis et qui dénaturent. Le temps est venu pour la compassion, la réconciliation, la compréhension, le pardon et l’amour.
Un rite éternel
Je crois au sacré et à la puissance du rite. Et ce rite est d’autant plus efficient qu’il s’intègre dans un rythme porteur de sens. L’obstination que l’on a mise à perpétuer la fête de Noël, en dépit de l’estompage progressif de sa dimension religieuse, montre à quel point l’humanité a besoin de repères fermement ancrés. Ces derniers sont d’autant plus indispensables aux urbains que nous sommes quasiment tous devenus, coupés du cycle naturel des saisons. Depuis les origines des temps, les hommes célèbrent le solstice d’hiver. Quel motif plus légitime de réjouissance ? Les décorations qui scintillent, l’odeur du sapin coincé dans le salon, le bruit du papier cadeau que l’on déchire ou encore les chants entonnés par les membres de la famille : Noël est une affaire de sens. C’est par eux que passe l’atmosphère si particulière de ce jour de fête. C’est à travers eux que nous vivons ce 25 décembre, tant attendu par les enfants et les adultes au mental troublé par ces maudits virus.
Puisque ces réjouissances s’organisent autour de la célébration de la naissance du Christ, nous pouvons nous demander comment cet évènement mystérieux et caché d’il y a deux mille ans a pu prendre une telle dimension, pourquoi une émotion sincère saisit tant d’hommes et de femmes, chrétiens convaincus ou non, quand revient le temps de Noël. Est-ce un vieux rêve de paix et de concorde qui habite les cœurs, ou la nostalgie des Noëls de notre enfance ?
Quand une naissance arrive dans une famille aujourd’hui, on envoie un SMS à tout son carnet d’adresses, avec la photo du nouveau-né. On voudrait annoncer la nouvelle au monde entier pour que la joie remplisse les cœurs ! Dans l’Évangile, on retrouve la même ambiance, le même décor : des millions d’étoiles sont allumées dans la nuit et l’ange proclame : « Je vous annonce une grande joie pour toute l’humanité. » Car la joie ne peut être authentique que si tout le monde peut la vivre. C’est ainsi que les premiers à qui elle est annoncée sont des bergers, des hommes pauvres vivant en marge des villes, soupçonnés d’être des « chapardeurs », souvent méprisés et refoulés. Ainsi la joie est partagée par la communauté des hommes.
Si « magie de Noël » il y a, c’est bien celle qui a vu ce jour de fête s’imposer universellement.
Partout, dans les vitrines, les rues, les maisons, on ressent l’approche de Noël. Sapins enguirlandés, couronnes de l’Avent, crèches, illuminations…
Les plus beaux Noëls ne sont pas ceux qui tournent autour des décorations, des cadeaux et des festivités, mais ceux où l’amour est roi. L’amour, c’est ce qui fait Noël. Et Noël, c’est consacrer du temps à sa famille et ses amis. C’est savoir apprécier et chérir l’amour partagé. Malheureusement, l’amour est facilement oublié dans l’effervescence de Noël. Parfois, il se trouve enfoui sous les décorations, les cadeaux, les courses interminables, les réveillons et les festivités.
Noël, c’est peut-être l’occasion de partager le repas avec un étudiant esseulé, un réfugié loin de sa famille ou de rendre visite à une mamie ou un papi confinés par un handicap physique. Les occasions de se rendre utiles sont multiples.
Certes, nous avons tous été biberonnés au folklore de cette fête qui, en dépit de la déchristianisation, s’est imposée comme le point d’orgue de notre calendrier, comme la fête de tous et de toutes – que l’on soit effectivement chrétien ou que l’on soit agnostique, athée, indifférent au religieux, musulman, juif, voire hindou.
L’esprit de Noël
Jusqu’ici, la période qui s’ouvre à nous était plutôt synonyme d’apaisement et de retrouvailles, de sourires, d’attention et, disons-le autrement, ces fêtes de Noël avaient un joli goût d’enfance et de parfums douillets. On appelait cela la trêve des confiseurs, l’occasion d’une pause dans ce tourbillon de débats de moins en moins nuancés. Mais c’était sans compter sur ce terrible « wokisme », poison absolu qui s’infiltre partout, qui voudrait gommer la mémoire et taire les différences. À l’heure du « tout inclusif », ce fameux wokisme jusqu’ici cantonné à certains milieux, universitaires notamment, prend de l’assurance et veut faire taire tous ceux qui s’y opposent. Ainsi, depuis quelque temps, nous entendons ici ou là des voix qui s’indignent que l’on puisse fêter Noël. Le réveillon pourrait-il virer au pugilat ? Et si vous avez eu l’idée de décorer un sapin, c’est-à-dire « un arbre mort » tué par un bûcheron, on vous accusera de n’avoir aucune conscience. Vous cumulerez les péchés capitaux… Mais voici que, en sus de tout cela, des procureurs autoproclamés grondent à l’idée que vous prononciez cette simple phrase : « Joyeux Noël ! », qui pourrait choquer ceux qui ne souhaitent rien fêter. Diable ! L’art de la nuance est un des grands défis de cette fin d’année, et le sera dans les prochains mois, mais c’est un noble combat pour que les communautarismes de tous poils ne l’emportent pas sur le vivre-ensemble. C’est aussi cela, l’esprit de Noël.
Alors, en cette année, si troublée et pleine d’incertitudes, contemplons nos crèches de Noël avec le regard de toutes celles et ceux qui vivent des vies difficiles et qui trouvent un grand réconfort auprès de cet enfant démuni, qui vient au monde dans la mangeoire du bétail au milieu des bergers.
Plutôt que de désespérément pleurer sur ce qui ne sera pas « comme d’habitude », c’est peut-être là l’occasion de nous interroger sur la signification profonde de cet « avènement » et la manière dont nous savons le préparer, l’accueillir. Le récit de Noël n’est pas une historiette merveilleuse. Il parle d’espérance malgré tout. D’une étoile qui vient guider les voyageurs égarés. D’un désir exaucé après si une longue attente. De la fragilité d’un nouveau-né proposée comme accomplissement de la puissance divine. Une bonne nouvelle oui, à fêter comme il se doit évidemment, mais qui ne fait l’impasse sur aucune épreuve de la vie.
Ceux qui vivent dans la misère et l’humiliation quotidienne ont une façon particulière de lire l’Évangile à partir de leur expérience de vie. Ils sont immergés dans le récit… et ils nous interpellent en nous faisant découvrir comment une vie toujours nouvelle peut surgir de nos fragilités et de nos échecs.
Alors cette année, contemplons nos crèches de Noël avec le regard de toutes celles et ceux qui vivent des vies difficiles. Et soyons solidaires, ensemble, pour porter cette espérance à tous.
Il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnez musettes.
Il est né le divin enfant, chantons tous son avènement.
Les anges dans nos campagnes ont entonné l’hymne des cieux.
Et l’écho de nos montagnes redit ce chant mélodieux.
Gloria in excelsis Deo !
DES SOUVENIRS DE NOËL
Lors de la dernière guerre, ma famille composée d’une fratrie de 6 enfants (3 garçons et 3 filles) vivions dans un petit village adossé à Sedan (ville par laquelle les Allemands ont franchi la Meuse pour envahir la France en 2 semaines).
Lors de la fête de Noël, tout le village rejoignait l’église. Parmi les néo-paroissiens de nombreux soldats allemands ; nous partageons tous ensemble la communion. Seuls les Français chantaient « Il est né le petit enfant… ».
En fin de messe le prêtre souhaitait à tous connaitre la paix et s’adressant aux Allemands : Liebe Brüder und Schwestern, dass die Fride immer mit Euch sei. Chers frères et sœurs, que la paix soit toujours avec vous !
De retour à la maison, en guise de cadeau, chaque enfant recevait une orange, fruit symbolique à l’époque et qui donnait lieu à une photo en noir et blanc (tant pis pour l’orange !)
En décembre 2013, je rejoins Damas en Syrie au sein d’un groupe de « chrétiens d’Orient », nous étions accompagnés d’une journaliste de Valeurs Actuelles : Charlotte d’Ornellas qui illumine aujourd’hui les plateaux de C.News. Les 2 journalistes de Figaro s’étant éclipsées au dernier moment ainsi que trois infirmières ! Nous avons partagé le repas de Noël avec un groupe de jeunes volontaires russes en mission humanitaire.
En décembre 2019 je retourne en Syrie accompagné d’un journaliste pour nous rendre à Maaloula, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, l’un des quatre derniers sites au monde où l’on parle l’araméen (la langue de Jésus). C’était un célèbre lieu de villégiature et de pèlerinage. On y dénombrait un ensemble d’abbayes et d’églises, jusqu’au jour où une centaine de jihadistes sont venus pour détruire l’histoire et vider la foi des chrétiens. Depuis les montagnes, ils ont basculé des pneus bourrés d’explosifs. Toutes les églises furent détruites, les statues décapitées, les icones défigurés, les évangiles brulées. Trois jeunes chrétiens qui refusaient de se convertir à l’islam furent fusillés. Le père Toufik, curé de la paraison grecque catholique, a fait le nécessaire auprès du Vatican pour que Sarkis, Antoine et Michail, les nouveaux martyres, soient béatifiés.
Dans ce contexte macabre, nous avons fêté Noël avec le père Toufik, les religieuses et les derniers chrétiens qui ont refusé de quitter leur lieu de naissance.
Pour ce Noël 2022 j’avais l’intention de me rendre à Kiev ou Odessa pour aider mes confrères chirurgiens. Il y a 3 mois, j’ai été convoqué au ministère de la justice par un commandant de police pour me signifier qu’il m’était interdit de me référer au titre de docteur. La sanction du procureur en cas de refus : un an de taule et 130.000 euros d’amendes si l’on voyait figuré le titre de docteur !
Dépité par cet énième oukase, émanant de l’Ordre des médecins et écœuré par cette litanie de menaces et de persécutions qui m’assaillent depuis 40 ans, je voulais rejoindre l’Ukraine. Le temps de la résilience est dépassé.
Mes enfants s’opposent à ce départ peut être sans retour. Ainsi, je vais partager cette fête de famille avec mes 5 enfants. Il me reste à attendre la suite. La providence sera-t-elle un jour au rendez-vous ?
Nulle fête liturgique n’est plus populaire que Noël. Seule elle connaît la singulière fortune de réconcilier, dans une commune allégresse, ceux pour qui elle commémore la naissance de Dieu et ceux pour qui elle ne signifie rien. Le plus incroyant la célèbre encore par le champagne et le boudin blanc ; c’est un fait d’histoire que cette vénération universelle ; les fêtards des réveillons en témoignent à leur façon. Daniel-Rops, Jésus en son temps II
Le Noël de cette année-là fut plutôt la fête de l’Enfer que celle de l’Évangile.
Camus, la Peste
Joyeuses fêtes de Noël !