La planète entière vit sous la menace du Covid-19 depuis bientôt deux ans. Alors que les scientifiques et autres décideurs misent sur la vaccination dans la majorité des pays, la pandémie a incité les Africains à recourir à la médecine traditionnelle africaine dans un contexte plus scientifique.

De nombreuses initiatives de restitution du savoir, de valorisation des recherches, ou de promotion de phytomédicaments issus des médecines traditionnelles, ont récemment vu le jour. Les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé vont dans ce sens. L’OMS demande, en effet, aux pays en développement d’étudier leurs médecines traditionnelles et de promouvoir l’usage des plantes médicinales dans les programmes de santé.

Les États en question sont invités à intégrer, dans leurs politiques pharmaceutiques nationales, les médicaments traditionnels qui ont démontré leur efficacité et doivent élaborer un cadre réglementaire spécifique. C’est en quelque sorte de l’ethnopharmacologie appliquée.

Une pharmacopée à valoriser

Un comité d’experts sur la médecine naturelle et traditionnelle vient de se créer. Lors de leurs réunions et mini congrès, ils ont évoqué les avancées de leurs travaux très ambitieux, mais aussi les freins auxquels ils sont confrontés. «À cause du faible accès à la vaccination en Afrique et des variants peu sensibles aux traitements actuels, nous avons tout intérêt à développer des médicaments à base de plantes sur notre continent, sachant que la majorité de nos populations recourt déjà à la médecine traditionnelle», a souligné le Pr Alain Tehindrazanarivelo, l’un des rapporteurs de cette réunion. Toutes les équipes de recherche ont d’ailleurs insisté sur le potentiel de leur pharmacopée et l’urgence de la valoriser dans des traitements anti-Covid. Un enthousiasme palpable chez cette quarantaine de chercheurs issus de toute l’Afrique, s’exprimant depuis le Ghana, le Congo, le Botswana, l’Afrique du Sud, jusqu’au Cameroun ou encore l’Éthiopie… Certains n’hésitent pas à donner la composition des produits naturels qu’ils ont testés et déjà brevetés ; d’autres, plus méfiants, préfèrent garder ce type d’information pour préserver les droits de propriété intellectuelle.

Sous le contrôle de l’OMS

Soulignons que l’OMS Afrique coordonne et guide désormais quatorze pays de ce continent dans leurs recherches pour mettre au point de véritables traitements anti- Covid avec leur propre pharmacopée. «L’OMS a élaboré des protocoles afin de confirmer la sécurité, l’efficacité et la qualité des médicaments à base de plantes anti-Covid. Elle a aussi surveillé l’avancement des essais cliniques en organisant des formations sur la contribution de la médecine traditionnelle pour répondre au Covid-19 avec des experts et des chercheurs», précise le Dr Ossy Kasilo, conseillère régionale chargée de la médecine traditionnelle pour l’OMS en Afrique.

Madagascar, la référence

En mars 2020, la campagne du président malgache présentant la boisson Covid Organics à base d’Artemisia comme un fabuleux remède anti-Covid avait suscité les plus vives critiques… L’Organisation mondiale de la santé est montée au créneau en mettant en garde contre un remède mal identifié. Mais les experts malgaches ont persisté dans leur recherche et aujourd’hui leur remède CVO+ curatif issu de l’Artemisia annua (version améliorée du Covid Organics) fait l’objet d’un essai clinique. Des extraits de cette plante aux propriétés antivirales sont dosés pour chaque capsule à 150 mg d’artémisinine, 3,3 mg d’extrait de flavonoïde, 4 mg d’extrait terpénique. Il y a aussi 7,1 mg d’huile essentielle de Ravintsara. L’essai en est à la phase 3, randomisé en double aveugle, comme l’impose le protocole. Après deux semaines de traitement sur 338 patients atteints de Covid, les résultats indiquent que le CVO+ curatif est «efficace à 87,1% pour le traitement du Covid-19 de forme légère à modérée». C’est ainsi que cette expérimentation est officiellement encadrée par l’OMS, qui a envoyé ses experts sur place afin d’examiner ces données et d’émettre un avis scientifique indépendant. Le produit est désormais envoyé et prescrit dans de nombreux pays africains.

Mon association les médecins aux pieds nus est bien implantée à Madagascar, c’est un pays qui s’enorgueillit de disposer d’une pharmacopée des plus riches d’Afrique.

Accompagné de mes volontaires, de Pierre Franchome un grand expert en aromatologie, nous avons formé une cinquantaine de médecins malgaches à Antsirabe. Le directeur de la santé m’a proposé un poste d’enseignant à la faculté de médecine de la capitale, mais ce poste ne correspondait pas à mes projets.

Madagascar est devenue le pionnier dans les essais cliniques africains axés sur la médecine traditionnelle.

Et ce n’est pas le seul pays africain à mener de tels travaux.

Au Kenya

Ce pays attend des subventions pour débuter des essais standards. Parallèlement les pharmacologues prennent des initiatives. C’est ainsi que deux produits de médecine traditionnelle ont été formulés et autorisés spécifiquement pour traiter le Covid-19.

L’ (Antivir-H) est un antiviral dont la composition est gardée secrète, tandis que l’IMB est un stimulant immunitaire contenant entre autres du moringa et de l’ail.

Ils ont été administrés à cent patients contaminés et ce traitement en synergie aurait «amélioré très nettement les symptômes», selon le Pr Francis Ndemo. Cette expérimentation va s’étendre à 1800 patients kenyans. En quoi consiste la formule de l’IMB ?

Le Moringa oléifera

Arbuste de 4 à 5 m de hauteur, avec des rameaux dressés puis retombant. Les fleurs sont blanches avec cinq pétales inégaux. Les fruits sont des siliques allongées, qui contiennent 7 à 20 graines ailées de forme prismatique.

Les noms vernaculaires de cet arbre varient selon les continents. En Afrique francophone, le nom le plus général est nébéday que l’on retrouve plus ou moins déformé et qui viendrait de l’expression anglaise never die, “qui ne meurt jamais”.

Les fruits et les feuilles utilisés en alimentation, sont riches en vitamine C (220 mg pour 100 g). Ils contiennent aussi de nombreux acides aminés (des protéines) surtout dans les feuilles. Toutes les parties de la plante sont utilisées.

Enfin trois substances antibiotiques ont été découvertes dans les racines : pterygospermine, athomine, spirochine dont les spectres antibactériens sont très larges. La spirochine agit aussi comme cardiotonique.

Les graines consommées après séchage ont le goût des cacahuètes. Mais surtout elles peuvent donner une huile intéressante, proche de l’huile d’olive, qui contient 70 % environ d’acide oléique. Elle est très recherchée.

Comme cet arbre est de croissance rapide (environ 3 ans après sa plantation, il commence à donner des fruits), on pourrait produire en grande quantité cette huile connue internationalement sous le nom d' »huile de Ben ».

L’arbre purificateur

L’équipe du Pr Geoff Folkard, de l’université de Leicester (Grande- Bretagne), a mis au point un système d’épuration de l’eau qui utilise les principes actifs de la graine du Moringa oleifera. Broyées, les graines de moringa désinfectent l’eau boueuse d’une rivière ou d’un marigot, qui devient potable en une heure. Un espoir pour les pays du tiers monde, qui pourraient cultiver cet arbre. Le moringa a le triple avantage de pousser en terrain peu fertile, sans beaucoup de soins, et d’être productif rapidement. Outre ses graines, il offre des feuilles et des fleurs riches en protéines, en vitamines A et C, en calcium et en fer.

Chaque pays à son rythme

Les pays n’en sont pas tous au même stade. Si Madagascar et la Guinée équatoriale terminent leurs essais cliniques de phase 3 avec des résultats jugés encourageants, le Burkina Faso a conclu ses essais de phase 2 sur l’apivirine. Ce phytomédicament béninois à base de Dichrostachys glomerata ou mimosa clochette «confirme une efficacité virologique, avec une évolution positive au bout de trois semaines de traitement sur les patients souffrant d’une forme modérée à légère du Covid-19», rapporte le Pr Sylvin Ouedraogo, directeur de recherche en pharmacologie.

Au Ghana, c’est la plante nibima (Cryptolepis sanguinolenta), utilisée dans la lutte contre le paludisme, qui est testée dans un essai de phase 2.

L’OMS met aussi en avant le Ghana où, depuis 2021, une cinquantaine d’hôpitaux travaillent avec des phytothérapeutes issus de l’université.

Big Pharma veille au grain !

Autre frein très remarqué et surprenant : le scepticisme des médecins conventionnels : «J’ai dû supplier mes confrères cliniciens pour qu’ils acceptent de donner à leurs patients nos produits stimulants immunitaires et antiviraux», déplore Francis Ndemo. Ce docteur en pharmacie kenyan espère passer bientôt aux essais cliniques après la vaste étude d’observation qu’il mène actuellement.

Pour autant, la médecine traditionnelle commence à être intégrée au système de santé publique dans une majorité de pays. C’est le cas de la Tanzanie où, «les tradipraticiens ont été impliqués avec les médecins pour élaborer des médicaments et vingt de ces remèdes sont autorisés officiellement contre le Covid-19», rapporte le Pr Hamisi Malebo, du Conseil tanzanien pour la médecine traditionnelle.

Importance de la nutrithérapie

Le Mozambique est l’un des pays les plus pauvres du continent africain. Avec un médecin pour 25 000 habitants, on comprend que la plupart des gens se tournent surtout vers les guérisseurs ou tradipraticiens. Face au Covid-19, les autorités ont donc décidé d’intégrer pleinement la médecine traditionnelle au système de santé publique en couplant la prise de cures préventives : des sirops à base d’ail, oignon et gingembre et des tisanes de feuilles de mélisse, manguier et mûrier. L’université de Maputo et le ministère de la Santé local ont aussi développé ensemble un nouveau complément alimentaire : l’Ekume qui contient des farines de banane verte, sorgho, maïs et mil et de l’arachide. Un mélange ultra-protéiné destiné à «hâter la guérison des malades du Covid-19 en complément d’autres traitements», selon la Direction de la pharmacie du Mozambique.

Notons que le fait de coupler la nutrition à la thérapie n’est pas pris en considération dans les pays occidentaux qui ignorent la médecine de terrain.

La recherche bat son plein

Elle privilégie les plantes anti-inflammatoires et anti-infectieuses.

Azadirachta indica (Neem)

Cette plante est originaire des Indes. Un extrait alcoolique de feuilles et d’écorces de tronc a montré une activité antiinflammatoire et antipyrétique. De même, un extrait aqueux lyophilisé des feuilles, donné par voie orale à des rats confirme cette action anti-inflammatoire.

Faire bouillir 30 grammes de feuilles dans un litre d’eau pendant une demi-heure. Boire un demi-litre par jour.

Crossopterix febrifuga

Les indications traditionnelles, comme le nom de l’espèce l’indique, sont la fièvre, la toux, les affections bronchiques grâce aux écorces du tronc et aux racines.

Un brevet déposé en Italie (FORESTA) décrit deux produits, les crossoptines A et B, saponosides dont la génine est l’acide oléanolique. Ces deux substances possèdent des propriétés anti-inflammatoires, analgésiques et mucolytiques, ce qui correspond aux indications de la grippe, du coronavirus et des bronchites.

Guiera senegalensis

Nger en Wolof, geloki en peuhl, Kudembe en Bambara…

Le Nger est considéré comme la première plante du Sénégal si l’on considère son emploi généralisé et ses nombreuses indications. Il est utilisé principalement comme calmant de la toux et comme fébrifuge. D’où sa prescription comme antitussif et dans les inflammations des bronches et du poumon. Ce sont les feuilles qui sont généralement prescrites sous forme de décocté.

Ces indications sont générales dans tous les pays où pousse cette plante, du Sénégal au Nord-Nigéria.

Un sirop antitussif a été préparé à partir des feuilles. L’étude clinique a été vérifiée chez des enfants de 6 mois à 6 ans et l’action antitussive s’est révélée excellente dans 98% des cas (POUSSET).

Faire bouillir une demi-heure 50 grammes de feuilles de Nger dans 500 ml d’eau. Filtrer et sucrer à volonté. Boire par cuillères à soupe pour les adultes, à café pour les enfants.

Il est clair que la recherche africaine met beaucoup d’énergie à valoriser sa pharmacopée dans le contexte actuel du Covid. Il faut espérer qu’elle puisse garder ce cap. « Ce serait un véritable gaspillage de ne pas achever les études en cours alors que les scientifiques africains ont une occasion exceptionnelle de contester ou de confirmer l’innocuité, l’efficacité et la qualité des médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle africaine contre le Covid-19», constate le Dr Kasilo. Mais le respect des normes internationales occidentales place la barre très haut, et il n’est pas certain que cet objectif soit compatible avec les moyens dont disposent un bon nombre d’États africains. Mais on peut rester optimiste, les premiers résultats officiels sont annoncés pour fin 2022.

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Chez les peuples traditionnels, la médecine fait partie intégrante de la culture ; elle est globale et intuitive, contrairement à notre conception fragmentée de la santé, inadaptée, parfois même inefficace.

N’aurions-nous pas intérêt à observer, assimiler la médecine ancestrale ?

Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que les huiles essentielles représentent dans certains pays africains la grosse artillerie antivirale. Mes lettres et blogs sont lus et échangés dans les pays francophones :

  • En premier lieu au Gabon où j’ai été le dernier assistant du docteur Albert Schweitzer à Lambaréné, ensuite médecin-chef sur le transgabonais.
  • Au Rwanda où j’ai fait mon service militaire à la Coopération. J’ai eu l’occasion d’enrayer une pathologie cutanée très handicapante et inaccessible à la médecine allopathique grâce à l’utilisation de l’huile essentielle d’Eucalyptus radié. Mes anciens infirmiers se souviennent de cet épisode.
  • Et à Madagascar avec la présence de l’association « les médecins aux pieds nus » (MAPN).

Ce manuel est disponible au bureau des MAPN au 9 Rue du Général Beuret 75015 Paris, au prix de 10 euros + 5 euros frais d’envoi.