Particulièrement cette année nous attendons tous cette fête de Noël. Ces dernières années ont été particulièrement horribles (annus horribilis). Ces temps sont particulièrement troublés. Les virus nous attaquent sans répit, le conflit Israélo-palestinien a exacerbé les rivalités, la crise économique n’est pas en reste, on endure des conflits intérieurs et extérieurs qui nous donnent le sentiment d’être dans une impasse.

Ces moments de tension nous font ressentir un douloureux inconfort et souvent une grande angoisse, car une partie de nous est appelée à souffrir.

Nous devons nous enrichir de nouveaux apports, pour renaître autrement et évoluer ainsi vers plus de conscience et plus d’humanité. Quand enfin nous arrivons à renoncer à une situation à laquelle nous étions attachés, à faire le deuil d’une relation, d’une croyance ou d’une idéalisation, sur lesquelles nous avions, jusque-là fondé nos vies et qu’il a été si difficile de quitter, il n’est pas rare de voir apparaître dans nos rêves un bébé. Une sorte d’«enfant divin», qui symbolise la nouvelle prise de conscience, le potentiel de renaissance et d’humanisation qui habite chacun d’entre nous.

Cette figure de l’enfant divin est une image archétypique qui appartient à l’inconscient collectif.

Selon Carl Gustav Jung, les archétypes sont des modèles «instinctifs» de représentations mentales. Ils sont communs à toute l’humanité, et se déclinent en une multiplicité d’images symboliques selon les civilisations et les cultures.

Les enfants divins sont présents dans les contes et dans de nombreux mythes, en Égypte ancienne, en Inde, au Tibet, en Finlande et ailleurs. Ils sont souvent liés à une naissance virginale et incarnent le renouveau. Le symbole de l’enfant nouveau-né fait le lien entre notre existence biologique concrète, le bébé, et cette capacité de transformation intérieure, de renouvellement, si difficile à exprimer. C’est bien à cela que servent les symboles, à évoquer ce qui dépasse les limites de notre entendement, de notre capacité à définir par des mots ou des concepts. Et si cette image du bébé fait encore écho dans nos profondeurs, malgré notre tendance générale à vouloir tout expliquer, rationaliser, dominer par la pensée, c’est qu’elle vient rejoindre les couches les plus instinctives et les plus primitives de notre psyché. Le processus de civilisation nous a progressivement coupés de la nature, des bases concrètes et corporelles du symbole, mais chacun garde dans le tréfonds de son âme la soif de se relier, d’éprouver une profonde résonance, une résonance «sacrée».

Une fête universelle

Nous avons tous été biberonnés au folklore de cette fête qui, en dépit de la déchristianisation, s’est imposée comme le point d’orgue de notre calendrier, comme la fête de tous et de toutes – que l’on soit effectivement chrétien, ou que l’on soit agnostique, athée, indifférent religieux, musulman, juif, voire hindou. Si «magie de Noël» il y a, c’est bien celle qui a vu ce jour de fête s’imposer universellement. Pour certains, ce n’est pas forcément la naissance de Jésus qui est honorée ; sous nos latitudes, elle l’est d’ailleurs de moins en moins.

Au fond, chacun est devenu libre de donner à ce jour particulier du 25 décembre un sens, religieux ou non.

Ce qui fait de Noel une fête éminemment polymorphe, entre sacralité et idolâtrie, recueillement et exubérance, retrouvailles et solitude.

Il est gênant que l’on utilise le même verbe – croire – pour désigner la foi en Dieu et celle dans le Père Noël. Cruelle ironie qui place le bonhomme en rouge, devenu l’icône de la consommation, à égalité sémantique avec l’Éternel. Mais si on ne croit pas en Dieu comment pourrait-on croire au Père Noël, qui viendrait récompenser les plus sages d’entre nous et punir les plus turbulents, comment croire au sacré et à la puissance du rite qui est d’autant plus efficient qu’il s’intègre dans un rythme porteur de sens ?

L’obstination que l’on a mise à perpétuer la fête de Noël, en dépit de l’estompage progressif de sa dimension religieuse, montre à quel point l’humanité a besoin de repères fermement ancrés.

Ces derniers sont d’autant plus indispensables aux urbains, coupés du cycle naturel des saisons. Depuis les origines des temps, les hommes célèbrent le solstice d’hiver.

Noël dans le cycle naturel

A l’issue de la nuit la plus longue de l’année, après des mois d’austérité, la vie en jachère allait pouvoir à nouveau s’épanouir. Quel motif plus légitime de réjouissance ? Car la nature qui ressuscite après le sommeil de l’hiver apparaît comme un miroir en creux de nos existences, lesquelles n’ont souvent rien d’un long fleuve tranquille. Dans Retour à Tipasa, Albert Camus écrit : « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible». Difficile de dire plus sublimement qu’au-delà des pesanteurs, l’étincelle de vie demeure en nous, intacte. Et qu’elle ne demande qu’à être ravivée.

La fête du solstice est universelle. On la retrouve à toutes les époques, sur tous les continents, et la christianisation s’est faite naturellement. Les chrétiens ne pouvaient pas la supprimer si la religion chrétienne a un aspect cosmique, on ne peut pas la résumer à cela.

Être chrétien, c’est être disciple de Jésus. C’est une rencontre avec un homme ressuscité, non pas le contact immédiat avec le divin présent dans tout le cosmos ou avec diverses divinités. On accorde aujourd’hui beaucoup d’importance à l’environnement, à la nature, et c’est très bien. Mais la tradition chrétienne a placé l’homme au sommet de la création. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas respecté la Nature, celle-ci étant à son service.

Cela pose la question de l’intégration de la matière dans la spiritualité.

Dans les monothéismes, le temps est linéaire, avec un commencement et une eschatologie, une fin du monde.

Dans la conception polythéiste, il est cyclique. Les fêtes païennes sont construites de la même manière. À la fin de la saison sombre, la saison lumineuse recommence.

Le Christ est la «lumière» qui se lève et éclaire le destin des hommes. La fête de Noël prend ainsi sa place dans le cycle naturel de l’année.

Les animaux de la crèche

C’est une crèche ordinaire, avec ses santons de Provence. Le bébé Jésus, sur la paille, sa mère radieuse, son père aussi putatif que pensif, un âne à droite et/ou un bœuf à gauche, une étoile au firmament… Loin d’être un compte rendu historique des premiers jours du divin enfant, cette crèche nous parle de religions oubliées, de symboles qui ont changé de sens. Elle nous murmure l’histoire des métamorphoses de Noël, fête païenne devenue chrétienne puis consumériste

Examinons les animaux présents dans la crèche. Moutons, âne et bœuf sont attestés comme animaux bibliques. Les moutons sont la métaphore du peuple du Christ «bon Pasteur», l’âne est la monture des prophètes, et le bovin trouve la justification de sa présence grâce aux prophéties d’Isaïe, qui l’associent à l’âne comme appartenant à un maître à venir, le Messie – « Un bœuf connaît son propriétaire, et un âne le maître qui lui donne à manger. Mais Israël ne veut rien savoir, mon peuple ne comprend rien» (Is 1,3). Reste que le bœuf est aussi un animal très vénéré en Orient et en Europe, car il incarne la richesse depuis plusieurs millénaires.

Le Noël des enfants et de la famille

Claude Lévi-Strauss va jusqu’à considérer le Père Noël comme une divinité qui reçoit un culte des enfants (lettres, prières, promesses) ainsi que des offrandes : et pour ses rennes, des carottes.

Croire ou ne plus croire ? Le passage de l’un à l’autre est un véritable rituel d’initiation : les petits sont en quelque sorte exclus de la société de «ceux qui savent», et la révélation des illusions peut être difficilement vécue. Elle est souvent le fait d’autres enfants, ou de doutes dont la confirmation est demandée aux adultes, mais pas toujours. Car de nombreux bambins continuent de jouer le jeu, comme s’ils reconnaissaient dans les efforts des parents de maintenir la fiction, un véritable besoin… pour ceux-ci !

Les cadeaux sont désormais un droit reconnu aux enfants et légitimement exigés : en somme, un devoir pour les parents, qui s’accompagne d’une importante dimension morale. Comment, en effet, rivaliser avec le Père Noël si bienveillant, si généreux ? Il croit sur parole les enfants qui assurent avoir été sages et ne croient même plus au Père Fouettard.

L’évolution laïque de la fête de Noël ne laisse pas de recréer une autre sacralité. Grâce au Père Noël, les parents se mettent au service des enfants pour mieux les accueillir parmi ceux qui ne croient plus, tout en reconnaissant le besoin de croire et de se réunir du côté de la vie. Le Père Noël représente ainsi une figure patriarcale autour de laquelle se rassemblent les familles. Serait-il finalement un dieu du foyer ? La fête religieuse du 25 décembre s’est transformée en une célébration de la famille, avec ses propres conventions pour ce qui concerne la décoration du sapin, le repas, les chants, le protocole de remise des cadeaux, tout en s’inscrivant dans les coutumes de son époque et de son pays. La fête de Noël, même la plus laïque, est sacralisée par ces rituels.

Les exclus de la fête

Cette valorisation du foyer suscite une forte empathie envers ceux qui n’en ont pas et invite au partage. Est-ce le souvenir du secourable saint Nicolas ? Charité chrétienne et solidarité laïque envers les démunis existent alors : depuis longtemps l’Armée du Salut organise des quêtes à Noël ; les Restos du Cœur sont particulièrement actifs en fin d’année, et des opérations «un Noël pour tous» sont organisées pour les miséreux, ainsi que les personnes isolées.

Car la nuit de Noël peut constituer une grande épreuve de solitude, comme en témoigne notamment l’association SOS Amitié qui reçoit dans cette période beaucoup plus d’appels de détresse que le reste de l’année. Noël est une manière de réduire un instant la distance entre «ceux qui ont» et «ceux qui n’ont pas ».

La générosité est symbolisée par la présence d’un être unique et mystérieux, foncièrement bon, le Père Noël.

Tout le monde peut, pour un instant, l’incarner.

Le récit de Noël n’est donc pas une historiette merveilleuse. Il parle d’espérance malgré tout. D’une étoile qui vient guider les voyageurs égarés. D’un désir exaucé après si une longue attente. De la fragilité d’un nouveau-né proposée comme accomplissement de la puissance divine. Une bonne nouvelle oui, à fêter comme il se doit évidemment, mais qui ne fait l’impasse sur aucune épreuve de la vie.

Comment se fait-il que la fête de Noël soit si importante dans le cœur des plus pauvres, même de ceux qui ne sont pas chrétiens ? Ne se retrouvent-ils pas profondément dans l’histoire de la naissance de Jésus ! Oui, la joie de la naissance de cet enfant porte en elle l’espérance des pauvres,

Ceux qui vivent dans la misère et l’humiliation quotidienne ont une façon particulière de lire l’Évangile, à partir de leur expérience de vie.

Réconciliation et solidarité

Alors cette année, contemplons nos crèches de Noël avec le regard de toutes celles et ceux qui vivent des vies difficiles et qui trouvent un grand réconfort autour de cet enfant pauvre qui naît au milieu des bergers et soyons solidaires, ensemble, pour porter cette espérance à tous.

En cette année, si troublée et pleine d’incertitudes, contemplons nos crèches de Noël avec le regard de toutes celles et ceux qui vivent des vies difficiles et qui trouvent un grand réconfort autour de cet enfant démuni, qui vient au monde dans la mangeoire du bétail au milieu des bergers Et soyons solidaires, ensemble, pour porter cette espérance à tous.

Retrouvons le sens du bonjour, du sourire, des échanges. Les enfants pourront à nouveau gazouiller. Ce sont notre avenir !

Faisons nôtre, plus que jamais, de cet enseignement que Jésus est venu apporter sur terre, il y a 2000 ans :

« Aimons-nous les uns et les autres, aimons même ceux qui se comportent comme des ennemis et qui nous font du mal. Le temps est venu pour la période de la compassion, de la compréhension, de l’amour, du pardon et de la résilience ».

Je vous souhaite un très joyeux Noël et une année 2024 pleine de lumière et de paix.