« Le vieillissement de la population a pris au dépourvu les sociétés occidentales au moment où celles-ci se trouvaient dans une phase triomphante de leur développement. La croissance industrielle était à deux chiffres, la science permettait la conquête de la Lune et la médecine semblait en mesure de tenir sa promesse d’éradiquer toutes les maladies, comme elle avait réussi à éradiquer les grands fléaux infectieux qu’étaient la variole et la poliomyélite », affirme le professeur Olivier Saint-Jean dans son livre Alzheimer, le grand leurre aux ed. Michalon.

« Mais on n’arrive pas à tout guérir et on reste confronté à l’incapacité d’améliorer les fonctions intellectuelles lorsqu’elles sont altérées. On a fait l’impasse sur la notion de vieillissement. Ces classes nombreuses de vieillards émergent dans les années 1960. Elles ne ressemblent en rien aux quelques vieillards des époques précédentes. Avant, ils jouissaient d’une santé exceptionnelle, ou étaient « séniles », mais finalement si peu nombreux et si peu exigeants qu’on pouvait les parquer dans des hospices inhumains sans que cela ne dérangeât personne. Ces nouveaux vieux ont comme caractéristique principale de perdre un jour la mémoire et de devenir incapables d’être en interface efficace avec le monde extérieur. Certes d’aucuns mouraient avant de maladies, mais inexorablement le taux de déclin cognitif augmentait avec l’âge, et ce d’une manière presque linéaire ».

L’impasse

Aujourd’hui le professeur Saint-Jean affirme que la société civile commence à interpeller ce modèle car les effets pervers sautent aux yeux. Les effets secondaires des médicaments, surtout quand ils s’avèrent inefficaces, sont devenus inacceptables, l’affaire du Mediator ayant servi de déclencheur.

« Des médicaments pour l’Alzheimer sont ainsi apparus. Ils se sont révélés non seulement inutiles, mais dangereux, voire meurtriers. Qu’importe : il fallait des médicaments pour que le modèle médical s’impose comme celui de la prise en charge de la vieillesse.

Dans ce contexte, il est impensable de ne pas disposer de médicaments, à n’importe quel prix.
Elle devient le serial killer des vieux, la grande peur du siècle et un enjeu économique majeur pour les firmes pharmaceutiques. Alors que le processus de validation de l’efficacité des médicaments progresse de manière spectaculaire afin de vérifier la réalité des progrès qu’ils apportent, que les procédures administratives d’enregistrement des médicaments deviennent rigoureuses, les médicaments proposés dans la maladie d’Alzheimer vont échapper à toutes ces règles.

Avant même leur mise sur le marché, leur absence d’efficacité est évidente. Pour autant, il est impossible aux professionnels, à la société civile et aux politiques d’accepter que le roi soit nu. On vendra donc des centaines de millions de boîtes de médicaments inefficaces, on remboursera des dizaines de milliards d’euros peut-être tout simplement pour ne pas perdre la face vis-à-vis des malades et de la représentation du rôle du médecin ou de la société face à des symptômes. Et tout cela sera en pleine synergie avec la médicalisation de tous les problèmes de la vieillesse et de la fin de vie ».

Alzheimer, une « construction sociale »

Une pile de livres sur cette démence foisonne dans les librairies. On y retrouve les mêmes ingrédients pour venir à bout de cette infernale démence : éliminer les polluants environnementaux et colmater les carences nutritionnelles qui surviennent, surtout en fin de parcours. Rien d’original dès lors qu’on retrouve cette approche pour toutes les pathologies. Certains auteurs évoquent la piste inflammatoire très prometteuse, une hypothèse nouvelle sur la dégénérescence du cerveau qui pourrait conduire à des essais thérapeutiques. D’autres pensent qu’en éliminant les facteurs de risques, le problème sera résolu. Une autre hypothèse très contestée a surgi parmi les nombreuses propositions. Selon Olivier Saint-Jean, chef du service gériatrie à l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris qui s’est créé une cohorte d’ennemis en taxant la maladie d’Alzheimer de « construction sociale », prend encore une autre forme : c’est envisager que notre société vieillissante prenne véritablement soin des personnes en déclin cognitif.

« Cela présuppose une plasticité cérébrale, une réserve cognitive, que l’on pourrait mobiliser et enrichir, déclare Olivier Saint-Jean. À domicile, l’orthophoniste tient ce rôle, en faisant travailler le langage, les praxies, la mémoire, les stratégies quotidiennes. Je préfère toujours parler de « déclin cognitif » plutôt que de maladie d’Alzheimer, car entre celle-ci et le vieillissement cérébral, il y a, selon moi, tellement de zones de recouvrement qu’il est légitime de se demander si ce n’est pas la même chose. Je considère qu’Alzheimer est une « construction sociale » du phénomène de vieillissement, « une maladie » créée en réponse au vieillissement de la population et au déclin cognitif qui l’accompagne. Ce n’est pas « une » maladie qui n’arrive qu’aux autres, mais un phénomène qui concerne tout le monde. La question de la vieillesse doit être mise à l’agenda de nos sociétés vieillissantes. »

Aujourd’hui, la théorie la plus courante s’oriente vers l’agrégation de bêta-amyloïde, une sorte de protéine localisée principalement au niveau du cerveau, qui devient toxique quand elle s’accumule et s’agrège. Mais comme la bêta-amyloïde ne s’accumule dans le cerveau qu’au fil des ans et sur un terrain inflammatoire, la solution consiste à « éteindre le feu » et renforcer les synapses.

En juin 2014, le plus grand congrès au monde sur l’Alzheimer, qui regroupait quelque 4 500 spécialistes à Copenhague, concluait ainsi « Le problème majeur pour le développement de nouvelles méthodes porteuses d’espoir est que la recherche n’a pas encore identifié avec certitude les mécanismes moléculaires déclencheurs de la maladie. »

Comment déchiffrer le puzzle ?

« Ce que nous cherchons, ce sont donc des mécanismes moléculaires qui nous donneraient la possibilité de développer un médicament ». Or, l’Alzheimer est comme un puzzle qui se compose de fragments découpés. Au lieu de rassembler ces différentes pièces, les experts à la recherche d’un principe actif passent leur temps à analyser et à isoler la pièce du puzzle qu’ils pensent être porteurs d’espoir. En procédant ainsi, le puzzle reste un jeu de patience. Et qu’en poursuivant sur cette voie, le problème reste insoluble.
Et pourtant c’est dans cette voie que s’est orientée le neurologue Dale Bredsen qui reste convaincu que grâce à un programme intensif, on peut restaurer une fonction cognitive déclinante.

L’hypothèse de Dale Bredesen est que la maladie d’Alzheimer, multifactorielle, est provoquée par au moins 36 facteurs de risque qu’une batterie d’examens médicaux peut déterminer. Il classe ainsi les patients en trois catégories : « inflammatoires » (présence d’inflammation), « atrophique » (manque d’hormones ou de vitamines…) ou « toxique » (présence de substances toxiques…). A partir de ces données, un programme informatique établit le protocole de soins personnalisé.

Le professeur Bredesen pressentait qu’en ne se polarisant que sur un seul principe actif, la recherche faisait fausse route : « Les médicaments existants contre l’Alzheimer ne se concentrent toujours que sur un aspect, explique-t-il, mais la maladie d’Alzheimer est bien plus complexe. »

Et pour illustrer sa théorie il recourt à une métaphore : « Imaginez que vous avez un toit percé de 36 trous et que votre médicament est à même de réparer l’un d’eux — dans ce cas le médicament devient efficace, il a bien bouché un trou, mais il reste 35 trous qui laissent passer la pluie et, à l’intérieur de la maison, la situation n’a pratiquement pas changé. »

Le Dr James Galvin, professeur de neurologie au Langone Medical Center de l’université de New York, conclue : « Je ne rejette pas le concept, car les facteurs [c’est-à-dire les pièces de puzzle] ciblés par le programme sont à prendre en considération ; mais il n’y a pas d’explication justificative qui permette de comprendre pourquoi les choses ont été faites de la sorte et comment elles ont été dosées. »

Ces hypothèses qui se veulent pleines d’espoir demandent cependant à être scientifiquement validées. Bredesen s’appuie sur une petite étude publiée en 2014 puis actualisée en 2016 dans la revue Aging ; il y rapportait le résultat obtenu sur une dizaine de patients souffrant d’un déclin cognitif débutant et ayant suivi un protocole alimentaire, physique et cognitif très intensif, selon l’étude, neuf patients sur les dix ainsi pris en charge ont retrouvé une vie normale.

« Il fait une intervention très offensive chez des patients en début de déclin cognitif dont on ne sait pas très bien s’ils sont effectivement atteints de maladie d’Alzheimer ou non, et sans groupe témoin, commente Philippe Amouyel. Ses résultats témoignent du fait que des changements d’hygiène de vie peuvent retarder l’installation ou l’aggravation des symptômes, mais on ne peut rien dire de plus à ce stade ».

Par ailleurs ce traitement doit être suivi à vie et en considérant que le marché s’annonce florissant (coût annuel de 5500euros).

« Les livres relevant de la science médicale étant supposés exposer des « faits » de façon objective et neutre, et être évalués par des pairs et approuvés par des experts. Il n’y a tout simplement pas de consensus. De plus, aucune des hypothèses actuelles n’explique l’ensemble des données des 50 000 articles scientifiques publiées sur ce sujet. Il ne faut pas s’étonner que la maladie d’Alzheimer soit en train de tuer un Français sur 6… », reconnait le Dr Bredesen.

S’orienter vers un modèle systémique

La loi du minimum et les cercles vicieux complexes qui dominent le développement de la maladie d’Alzheimer nous montrent — sur le plan biologique — qu’il est indispensable d’opter pour une démarche systémique, comme le préconisait Hippocrate, il y a 2400 ans ! Quand il s’agit de résoudre le mystère de l’Alzheimer, il semble que nous n’envisagions qu’une seule voie : à savoir un médicament capable d’enrayer cette maladie. Quelle que soit l’explication, on ne peut que donner raison à celui qui parviendra à développer ce remède miracle. Nous oublions d’envisager une solution non médicamenteuse fondée sur une approche systémique du problème.

Jusqu’à une époque récente, il y avait à Okinawa dans cette population d’origine un nombre remarquablement important de centenaires, et ceux-ci ne souffraient ni de démence, ni d’autres maladies caractéristiques occidentales du vieillissement.

Ce secret tenait à un rituel appelé « Hara hachi bu », cette expression signifie littéralement « estomac plein aux huit dixièmes ». Cette règle de frugalité consistait à cesser de manger avant d’être rassasié. Autrement dit on procède à une réduction alimentaire qui met tout le biotope en acidocétose correspondant au régime cétogène dont on connaît l’impact positif sur l’ensemble des pathologies et particulièrement les pathologies neurodégénératives.

C’est ainsi qu’en étudiant différents groupes ethniques notamment à l’île d’Okinawa, on a constaté que le risque d’Alzheimer, relativement faible dans les populations étudiées, augmentait de manière dramatique dès lors que les individus renonçaient à leur mode de vie proche de la nature et adoptaient à la place notre style de vie moderne conditionné par des impératifs économiques et l’attrait des médecines occidentales.

Sur cette petite île, coincée dans l’archipel Japonais, par exemple, le risque d’Alzheimer est resté très faible jusqu’à la moitié du siècle dernier, puis, en l’espace de deux décennies seulement, il a été multiplié par sept pour atteindre le niveau actuel très élevé.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec l’installation d’une base militaire américaine et le développement du mode de vie made in USA, la prévalence des maladies de civilisation courantes telles que les maladies dégénératives a augmenté de manière exponentielle. La population la plus touchée est celle de la jeunesse attirée par les mirages qu’offre l’occident.

Qui dit systémique dit relatif à un système pris dans son ensemble, et ce système ne pourrait-il pas être un organe déterminant tel que le système olfactif ?

Le système olfactif, le sens providentiel

Ce que l’on peut regretter c’est que les médecins ne se soient pas attardés sur les différents signes cliniques que présentent ces patients atteints de troubles cognitifs et autres troubles comportementaux. L’un des tous premiers signes, omniprésent, est l’altération du sens olfactif, le plus sophistiqué des cinq sens.

Le soutien actif de ces recherches reste une des clés des progrès évidents que l’on peut faire pour la prévention et le traitement de cette maladie terrifiante.
Le développement d’une politique de prévention de la maladie d’Alzheimer sera un enjeu majeur dans les années à venir. Il est pour cela essentiel de connaître et maîtriser les facteurs qui pourraient retarder le déclin cognitif du vieillissement et l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Ceci implique des essais cliniques en population générale dont certains se sont révélés plus que prometteuses, que ce soient en Angleterre, en Allemagne, au Japon, en Chine et en France, notamment dans les IPHAD où végétaient des malades dont l’issue inexorable était accompagnée de soins palliatifs.

Fort de toutes ces considérations, et enrichi par mes connaissances anthropologiques, j’ai pu étudier la phylogénèse, à savoir l’évolution de nos ancêtres dans le temps et l’espace. Quand notre ancêtre mangeait cru, il alimentait son système olfactif qui était sa boussole et lui permettait d’assurer sa survie et son adaptation. Avec l’apparition du feu et de la cuisson, on est passé dans le sens gustatif. L’alimentation n’avait plus de vitalité. C’est le départ de la maladie d’Alzheimer.

J’ai réalisé un livre sur cette pathologie neuro-dégénérative. Un livre tel que celui-ci est l’émanation directe de la brèche à présent ouverte dans l’océan d’indifférence qui noyait jusqu’à maintenant les personnes dont le vieillissement ne peut se dérouler comme il le devrait : dans la paix, la sérénité d’une longue route accomplie et le bonheur d’une autre vie avec…. Quelques années de plus.

Le livre numérique est déjà sorti sur eBook Kindle sur Amazon : Alzheimer : la maladie décryptée, Dr Jean-Pierre Willem (prix : 9,99 euros).