Le Rwanda : la terre des grands gorilles
En 1966, lors de mon service militaire au Rwanda, je vois s’attarder à Ruhengeri des Occidentaux qui viennent pour des raisons diverses. La visite du parc national des Volcans est la plus habituelle. Je rencontre dans cet endroit des gens mus par des destins et des motivations variées : des aventuriers, des touristes, des personnages hors normes. C’est ainsi que dans le modeste hôtel de Ruhengeri, je sympathise avec Haroun Tazieff, le célèbre vulcanologue.
J’habite le même hôtel que Diane Fossey, la célèbre ethnologue américaine venue étudier les gorilles des montagnes. Sur la chaîne des huit volcans de la région, les six volcans éteints, tout proches, sont les seuls endroits au monde où l’on peut rencontrer les derniers représentants de l’espèce. Ces grands primates si proches de nous, à la stature majestueuse, sont finalement d’une grande douceur. Ils ont de quoi fasciner. Lors de mon séjour au Gabon, j’avais eu l’occasion de découvrir les gorilles des plaines. Il me restait à découvrir leurs cousins des montagnes.
Un soir de libations dans la grande salle du restaurant, je fanfaronne en prétendant que ces grands singes ne me font pas peur. Diane me propose alors de l’accompagner et même, si la chose me tente, de prendre en charge leur état sanitaire. L’invitation ne me déplait pas du tout. Levés tôt, nous partons en Land Rover pour le volcan Visuke ; les derniers kilomètres se font à pied. Nous parvenons à une clairière et, alors que Diane s’est écartée, j’entends un bruit, je sens, avant de voir quoi que ce soit, une puissante odeur musquée. La forêt retentit de cris perçants, ponctués de battements rythmés. Un énorme mâle, un dos argenté, caché derrière un rideau de végétation, jaillit en se frappant la poitrine. Il déboule de toute sa masse dans ma direction. Je ne peux compter sur Diane qui s’est mise à l’écart. Son repli a-t-il été intentionnel ? Je le suppose. Je n’ai pas le temps de philosopher face à ces deux cents kilos de muscle. Dans moins de dix secondes, je vais être mis en pièces. Les recommandations des chercheurs d’or du Gabon me reviennent. En cas de rencontre de ce type, il faut se fondre dans la nature, chercher à s’intégrer dans l’environnement pour rassurer l’animal. J’ai le choix entre deux comportements possibles : manger des feuilles en baissant le regard ou uriner debout d’un beau jet rappelant ma condition de primate. Pas la moindre feuille sous la main. Le temps de sortir l’organe salvateur et je réalise que mon destin se limite à cette action dérisoire, mais ma peur en présence du monstre me coupe toute envie. Sans solution de repli, je fais face, les yeux baissés, soumis. Face à moi, le gorille interrompt brusquement sa course, fait demi-tour pour revenir à la charge avec moins de conviction que la fois précédente. Son ardeur semble se tarir. Il a remarqué ma résignation ou ma soumission.
Pas trop à l’aise, je cherche Diane du regard, je l’aperçois enfin. Elle est confinée à trente mètres de moi, pliée en deux par un rire hystérique. Nul doute, elle avait imaginé ce scénario que je viens de subir. La scène s’est déroulée conformément à ses attentes. Ce qu’elle n’avait peut-être pas prévu, c’est qu’elle pouvait elle-même être victime du même scénario en « pissant de rire », au sens littéral du terme. « A bien ri qui rira le dernier. » L’incident est clos, la tension est retombée. Il nous reste à retrouver la famille de « dos argenté ». Nous rampons dans les fourrés, à la recherche du groupe. Après avoir crapahuté à travers le feuillage, un alignement de faces noires au cuir tanné nous fixe d’un air surpris et inquisiteur. Ils reconnaissent Diane, je suis rassuré. Leurs yeux, sous d’épais sourcils, étincellent tandis qu’ils cherchent à discerner s’ils ont affaire à un ami ou à un intrus, c’est ainsi qu’ils voient souvent des touristes accompagnés d’un guide local. Quel spectacle improbable que ces massives silhouettes noires qui se détachent sur le vert soutenu du feuillage ! La plupart des femelles sont concentrées à l’arrière avec leurs petits, tandis que le « dos argenté » et quelques mâles plus jeunes nous toisent en pinçant les lèvres. De temps en temps, le chef se frappe la poitrine pour continuer à m’intimider. Le bruit éveille la curiosité d’autres membres du groupe qui s’avancent pour mieux nous percevoir. Cherchant à attirer mon attention, certains se livrent à une série de démonstrations significatives : bâillements, bris de branches, coups frappés sur la poitrine. Ils m’observent, l’air railleur, comme s’ils essayaient de jauger l’effet de leurs bravades sur ma personne. Le rapprochement s’opère peu à peu. Leur curiosité naturelle les incite à sortir des fourrés, à grimper sur les arbres pour mieux nous observer. Les femelles s’approchent enfin, puis les petits. L’un d’eux esquisse des gestes tellement humains que je dois résister à la tentation de le prendre dans mes bras.
Chacune de nos expéditions sur les flancs des volcans représente des moments de joie et d’émotion particulière. Je collige un tas d’informations ; je tente chaque fois de comparer leurs comportements aux nôtres, mais cet anthropomorphisme a ses limites. Les gorilles vivent en groupes organisés d’une dizaine de membres dont la composition varie selon les naissances, les morts et l’arrivée ou le départ des individus.
Après plusieurs expédition, je commence à me familiariser avec nos cousins, dissemblables de nous par simplement deux petits gènes. Pourquoi n’ont-ils pas acquis le « gène » de la parole ? Je cherche à décoder chacune de leurs vocalises dont leur répertoire est infini.
Diane a donné un nom à chaque gorille. Les premiers sont affublés d’un nom de musicien. Il y a Beethoven, Brahms, Bartok… Les autres sont « baptisés » selon une particularité physique, un événement ou un comportement typique : Macho, Brasodo, Tiger, Poppy, Ephie, Flossie…
Les gorilles adorent les belles journées ensoleillées et le manifestent en éructant, c’est du moins ce que je suppose. Ce type de rot est la forme la plus fréquente de communication orale à l’intérieur du groupe. Cela semble exprimer le contentement. Quand ces sons sont plus courts, ils signifient une légère réprimande à l’égard des jeunes. Nous imitons ces bruits pour espérer entrer en contact avec les gorilles cachés dans la forêt. Nous les informons ainsi de notre présence. C’est un sentiment unique que de se trouver assis au milieu d’un groupe de gorilles et de chercher à participer à leur chœur. Ces vocalises saccadées, similaires à celles des porcs quand ils mangent, sont émises par les chefs qui veulent faire cesser une querelle au sein du groupe. Les femelles les utilisent vis- à-vis d’autres adultes pour désamorcer des conflits naissants, à propos de la nourriture par exemple. Quand un congénère ne veut pas céder le passage, les jeunes poussent également ce genre de grognements.
Parfois, nous tombons sur un autre groupe de gorilles, sans avoir eu le temps de les avertir de notre présence. Surpris, ils chargent alors, surtout si plusieurs groupes sont proches les uns des autres, s’ils se déplacent dans une zone dangereuse fréquentée par des braconniers ou s’il y a parmi eux un nouveau-né. Il est compréhensible qu’en de telles circonstances le chef soit obligé de recourir à des comportements défensifs. Les charges de ces animaux sont avant tout des tentatives d’intimidation. Habituellement ils sont conciliants avec ceux qu’ils connaissent et, quand il s’agit d’inconnus, ils se contentent souvent d’une chiquenaude au passage, sauf si on s’enfuit en courant, ce qui les incite à la poursuite.
La pharmacopée des singes
Après plusieurs visites, j’ai l’impression d’avoir été adopté. Je soigne leurs plaies, enraye leurs diarrhées. Leurs pathologies les plus redoutables sont les affections respiratoires. Ils éprouvent une sensation agréable lors de la pose de mon stéthoscope à travers leurs poils. Toutefois je ne leur ai jamais demander de dire « 33 ».
Lorsqu’on ne connaît pas la cause de leur mort, on pratique des autopsies à l’hôpital de Ruhengeri.
Les animaux en liberté absorbent tous des plantes dites médicinales pour se guérir. Comment se peut-il que ces pongistes perçoivent dans leur environnement les substances toxiques et les évitent ? Comment sélectionnent-ils les plantes selon leur pathologie ? Cette automédication est particulièrement flagrante chez ces grands singes.
Dans la forêt africaine, beaucoup de plantes qu’ils consomment, font également partie de la pharmacopée des populations locales. Je m’intéresse aux plantes qu’ils sélectionnent pour se nourrir et éventuellement se soigner.
Diane me confirme qu’ils recourent à cinquante-huit variétés de plantes. Les fruits, les feuilles, les pousses, les tiges et les racines constituent l’essentiel de leur alimentation ou pharmacie. Leurs plantes herbacées préférées sont le chardon, l’ortie et le céleri sauvage. Le gui est une nourriture rare et recherchée qu’ils trouvent en altitude sur les ypéracées, conifères élancés et fuselés.
Quand ils sont malades, ils savent identifier autour d’eux les plantes susceptibles de soigner leurs maladies : l’Acacia nilotica, le Cajanus cajan, l’Adansonia digitata en cas de troubles digestifs ; l’Azadirachta indica et le Cochclospermum tinctorium, en cas de fièvres et de crises de paludisme… Ils se protègent même contre la malaria en mâchant des feuilles d’un arbre appelé Trichilia rubescens. La plupart des plantes médicinales alcaloïdes sont désagréables au goût, mais le gorille dépasse sa répulsion vis-à-vis de ces plantes toxiques à forte dose mais bienfaitrices quand elles sont ingurgitées à petite dose.
Parfois, ils quittent le groupe en quête de plantes plus rares.
Il leur arrive de consommer en guise de protéines des vers de terre, des escargots, la terre et les excréments.
L’éducation des petits
On a identifié une forme de « culture médicale » chez ces mammifères. En les observant, nous avons constaté que les femelles éduquent leurs petits à la mastication d’écorces, leur apprennent à rouler des feuilles urticantes dans la bouche ou à avaler des poignées de terre sélectionnée pour se purger des parasites. Le gorille, comme l’homme, associe spontanément le sucré au plaisir, et rejette spontanément l’amer.
L’homme a tellement de choses à apprendre auprès d’eux. Les guérisseurs africains l’ont compris et utilisent les mêmes plantes que ces gorilles. Je suis révolté du massacre perpétré à leur encontre par les braconniers du parc protégé. Cet endroit est leur dernier repli.
Il est l’heure pour moi de retourner à la civilisation. Avant de quitter la terre des gorilles, je vais leur dire au-revoir. Je touche la main de « dos argenté », caresse les femelles et les petits, embrasse Simba, le petit gorille orphelin adopté par Flossie.
Le regard de l’éthologue
Les gorilles consacrent seulement 3 % de leur temps à des activités sociales et les chimpanzés 25 %. Les comparaisons entre les comportements des humains et ceux des singes sont faussées par des biais d’observation et ne peuvent nous apprendre beaucoup sur nous-mêmes. En général, les gorilles et les humains ne partagent pas de liens émotionnels. Si l’on souhaite vivre avec un être non-humain qui soit émotionnellement proche des humains, mieux vaut partager sa vie avec un chien qu’avec un gorille.
Les études montrent que les chiens ont une plus grande capacité à comprendre les émotions humaines que les gorilles ou bonobos — alors même que le visage humain se rapproche plus de la face du singe que de la face canine.
Nous venons de fêter les 100 ans de la naissance de Brassens, je me surprends à fredonner « Gare au gorille ! ».
Brassens exagère : le gorille est un animal pacifique, qui déplace des milliers de touristes dans le pays des volcans. Rien à voir avec les « gorilles du président » ou garde-corps.
Il vous reste à chanter avec moi :
Celles-là même qui, naguère,
Le couvaient d’un œil décidé,
Fuirent, prouvant qu’elles n’avaient guère
De la suite dans les idées ;
D’autant plus vaine était leur crainte
Que le gorille est un luron
Supérieur à l’homme dans l’étreinte,
Bien des femmes vous le diront !
Gare au gorille !…
Georges Brassens, « le Gorille ».
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Après 18 mois d’écriture et d’information sur le covid et le vaccin, je change d’horizon pour vous offrir un voyage en Afrique. Il devient de plus en plus difficile de s’exprimer sur les réseaux sociaux. Un discours déviant, dans cette période troublée que nous vivons ne peut plus faire allusion à ce business titanesque que représente la vaccination ; c’est ainsi que l’on est censuré pour ne pas répandre la peste du doute et du simple questionnement.
« On en est réduit à recourir à des paraphrases pour éviter les mots rattachés à la pandémie, devenus tabous et traqués par des robots », comme le rappelle mon confrère Thierry Schmitz.
Ainsi pour ne pas évoquer le vaccin, il faudrait écrire « V1 » et « V2 » pour le virus. La censure numérique sera ainsi détournée.
Je conseille à ceux qui ne reçoivent plus mes lettres de vous réabonner. On vous a fait passer à la trappe – nous vivons dans un contexte de peur, de suspicion, de censure et de répression – ce que le ministre australien de la santé appelle « « le nouvel ordre mondial ».
Portez-vous bien !