Allons-nous tous être remplacés par l’intelligence artificielle (IA) ? La question n’est pas nouvelle. Mais elle revient en force depuis le lancement de ChatGPT, le robot conversationnel de la société OpenAI, capable de générer des contenus entiers et de réussir des examens scolaires avec brio, qui a bluffé la planète lors de la présentation de sa dernière version, GPT4, en mars dernier.

Depuis la popularisation de ChatGPT, le logiciel conversationnel capable de rédiger une dissertation de philosophie avec succès, la boîte à fantasmes marche à plein régime. L’intelligence artificielle va voler nos âmes et nos emplois ! La peur d’une prise de pouvoir des robots sur l’homme, source d’inspiration de nombreux films ou romans, nourrit notre imaginaire depuis l’enfance. L’échéance de cette mise sous coupe réglée de l’humain par la machine semble se rapprocher dangereusement en raison de l’utilisation par le grand public d’avancées technologiques spectaculaires. Le climat anxiogène provoqué successivement par le Covid, l’ambiance de peur et de haine, la sécheresse, les cataclysmes à répétition et le changement climatique en général est maintenant alimenté par le spectre de la fin du travail. L’homme aura-t-il encore son mot à dire ?

3500 : le nombre de mots que ChatGPT peut comprendre et traiter dans leur contexte à la fois et dans plusieurs langues.

« Rupture technologique majeure », « bouleversement civilisationnel » : les mots pleuvent ici et là pour décrire ce qui constitue a minima un événement vertigineux, au sens où l’horizon des tâches intellectuelles que l’on peut sous-traiter à l’ordinateur vient de s’élargir au champ du quotidien. Pour le meilleur… et pour le pire : l’élève flemmard peut désormais lui confier ses devoirs, le malade naïf un protocole thérapeutique, le cyberpirate l’écriture d’un code malveillant.

Rappelons qu’au bac, les élèves qui recourt à l’IA n’auront que leur feuille et leur stylo !

Il ne s’agit pas de nier la révolution technologique en cours et les effets qu’elle aura sur notre vie quotidienne et l’emploi en particulier. Comme les précédentes, de l’invention du métier à tisser à celle de l’électricité, elle va tuer un nombre considérable de professions et de fonctions actuellement occupées par l’homme ou la femme. Et pour une fois, il ne s’agira peut-être pas seulement des plus répétitives.

Éviter le «chaos informationnel»

C’est toute la crainte de Raphaël Glucksmann, président de la commission du Parlement européen sur les ingérences étrangères, qui affirme avoir disséqué des dizaines de campagnes provenant d’entreprises ou d’Etats autoritaires pour « inonder les réseaux de fausses informations et de polémiques artificielles ». Pour l’eurodéputé, il faut « des règles plus strictes pour les plates-formes » et « des sanctions pour les groupes et États » qui les utilisent à des fins d’ingérence.

Et de prévenir : « Ne pas s’emparer du sujet dès aujourd’hui, c’est se condamner demain à voir le chaos informationnel emporter nos démocraties dans l’abîme. » Au ministère du Numérique de Jean-Noël Barrot, on se dit conscient des « risques associés importants » de cette nouvelle technologie. « C’est pourquoi nous régulons l’IA au niveau européen avec l’AI Act, pour s’assurer que les usages de ces outils restent éthiques et conformes à nos valeurs. »

Quels sont les principaux dangers de l’IA ?

GPT 4 a montré qu’il était capable de passer les examens du barreau, des épreuves de Polytechnique… L’éducation, c’est devenu un benchmark (l’étude d’un service ou d’un produit) pour l’IA, c’est un peu inquiétant. Et en même temps, il peut être génial d’avoir des outils d’IA pour les élèves, qui permettraient de vérifier son accent, refaire un exercice de maths… On peut faire ce qu’on veut de l’intelligence artificielle. Le problème, c’est que les questions éthiques arrivent avec les nouveaux produits et on ne peut pas les anticiper.

Il existe deux risques connus ; la manipulation des opinions publiques avec la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux, de fausses interviews, ou par exemple une fausse vidéo montrant une rencontre entre Macron et Poutine. L’autre risque est la suppression massive d’emplois.

Certains experts spéculent sur un nombre de 300 à 600 millions d’emplois menacés à terme.

Si elle fascine, cette technologie inspire aussi des craintes, à commencer par la peur du remplacement de l’humain par la machine. L’IA pourrait surtout «déplacer des métiers», …«L’intelligence artificielle ne va pas nous remplacer, mais celui qui l’utilise va sans doute nous remplacer par son efficacité augmentée », pointe Mathilde Guinaudeau, directrice de l’analyse d’Ipsos. Les outils développés grâce à l’IA « ne tueront que les métiers qui ne voudront pas se les approprier », renchérit Emmanuelle Ertel, directrice de l’innovation chez Tessi, spécialiste de la transition numérique. « C’est avant tout une aide afin d’enrichir une idée ou un autre angle mais qui aura toujours besoin des humains pour progresser», ajoute-t-elle.

Fascination et appréhension

Sans jouer à se faire peur, certains vont jusqu’à penser que l’intelligence artificielle pourrait finir par surpasser l’intelligence humaine. Les sondés sont divisés ; 40 % le pensent et 43 % ne l’imaginent pas. « Il n’y a pas une vision uniquement négative, car ils le voient déjà comme une innovation dans leur quotidien », remarque Mathilde Guinaudeau. Néanmoins, ajoute-t-elle, « l’étude montre que plus on est familier avec l’IA, plus on considère qu’elle va nous surpasser dans certains domaines, parce qu’on en voit clairement le potentiel ».

Dès lors que ChatGPT sait donner trop de bonnes réponses, son arrivée dans le monde professionnel entraîne de nombreuses questions. Florilège de métiers que l’IA pourrait aider, améliorer ou… remplacer.

L’histoire de l’humanité révélera que celle-ci ne recule jamais devant un progrès technique même s’il donne le vertige. De nombreux métiers vont se transformer ou disparaître. Mais d’autres les remplaceront…

L’enthousiasme des chercheurs de la Silicon Valley ne doit pas nous faire oublier que, pour absorber cette grande mutation sans (trop) de casse, il faut développer des politiques publiques en matière d’éducation notamment mais aussi de préparation des organisations et des esprits, ou encore de protection et de sécurisation des données. Un petit effort d’imagination et d’anticipation qui pourrait permettre de croire encore un peu à l’inimitable singularité de l’intelligence humaine !

Performance en médecine !

Les plus grands espoirs résident pour l’heure dans le domaine médical. On parle de l’IA pour le diagnostic de maladies—et on ne peut s’empêcher d’y voir un pis-aller face au manque de médecins. Son aide pourrait aussi se révéler précieuse pour adapter les traitements et créer plus vite des médicaments. Des nombreuses start-up y travaillent en collaboration avec des laboratoires pharmaceutiques comme Sanofi ou Janssen. Chez Iktos, jeune pousse parisienne, on ne dispose d’aucun microscope ni laborantin pour créer des molécules : simplement des ordinateurs qui brassent des données à une vitesse qu’aucun cerveau ne pourrait atteindre.

Les cancers traqués par un algorithme

On parle de 150 patients (diagnostiqués par IA)… Le gap est considérable entre le potentiel et la réalisation.

Pas de cible, pas de traitement efficace à opposer. Dans le jargon médical, cette « planque » a un nom : cancer primitif inconnu. Elle touche quelque 7 000 personnes par an, mais un algorithme pourrait se révéler plus fort. Développé par l’institut Curie, référence dans la lutte anticancer, cet outil est aujourd’hui à l’honneur.

Établir la carte d’identité des tumeurs

C’est une femme médecin, à la fois oncologue médicale et chercheuse, qui a mis au point avec son équipe l’outil d’intelligence artificielle.

Un algorithme a d’abord été entraîné à partir d’une immense base de données de 20 000 profils ARN – leur carte d’identité – de tumeurs du sein, du côlon, du poumon… « Déjà on observe que, dans plus de 98 % des cas, la machine pouvait décrire un cancer en quelques minutes, plus vite que le cerveau humain. Mais la vraie question était si on la confronte à des primitifs inconnus, sera-t-elle capable de trouver quelque chose qu’elle ne connaît pas ? » résume la Dre Watson à l’institut Curie, faisant passer la machine IA de la théorie à la pratique, du concept à l’utilité. L’enjeu est donc énorme.

Car c’est bien une IA qui a débusqué ce qui échappait à l’œil pourtant sagace des médecins : l’origine de son cancer. Le mal se diffusait dans les organes du patient, attaquait son corps de toute part tout en prenant sournoisement soin de cacher son point de départ.

Les modèles tels que ChatGPT sont porteurs de très grandes promesses pour l’accélération de la recherche scientifique ou de la création artistique. Mais cela présente aussi un certain nombre de dérives, de risques de manipulations, de discriminations, de non-respect de la propriété intellectuelle, de déshumanisation… Cela soulève des questions démocratiques et éthiques.

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La sagesse des Anciens…

L’homme, serviteur de l’automate, deviendra lui-même un automate, un robot, comme disait mon ami Karel Capek, j’ajoute un automate souffrant et ahuri.

G. Duhamel, Refuges de la lecture, Préface.

Il est vrai que la machine supprime le travail d’artisan qui demandait de l’intelligence et de l’habileté, pour le remplacer par le fastidieux travail à la chaîne, mais c’est là un état transitoire. La chaîne elle-même sera un jour servie par des «robots». L’ouvrier, qui n’exercera plus guère qu’un rôle de surveillance, deviendra un ingénieur.

A. Maurois, Un art de vivre.

Consultez le programme de mon intervention lors du sommet « Demain, c’est aujourd’hui ».