L’effervescence fait plaisir à voir. Mines réjouies sur les terrasses, les Français ont soif de contacts. Quel que soit leur âge, les verres trinquent, les mains se frôlent. Après des mois de confinement, il y a des milliers de paroles à échanger, de regards à croiser, de corps à toucher. Côté culture, c’est le foisonnement. Là encore, les spectateurs sont au rendez-vous. Ils ont hâte d’assister aux dizaines de concerts annulés et de rattraper les centaines de films qu’ils n’ont pas pu voir sur grand écran.

Selon les historiens, la période qui s’annonce rappelle les Années folles. Cette décennie après la Première Guerre mondiale, où Européens et Américains ont vécu dans les vieux quartiers parisiens une explosion de fêtes, de joie, de prospérité économique sur fond de jazz et de charleston. Il fallait oublier la guerre, bien sûr, mais aussi — similitude troublante avec notre époque — une pandémie. La grippe espagnole de 1918 venait de décimer 50 millions de jeunes gens à travers le monde, en quatre vagues successives. L’histoire ne se répète jamais, dit-on, mais redoutons tout de même la désillusion qui suit tous les lendemains de fête.

Aujourd’hui le Covid n’est pas encore terrassé, le virus montre encore des signes préoccupants dans certains départements du Sud-Ouest, et des mutations des variants sont scrutées avec inquiétude voire angoisse.

Alors, pour mieux identifier et repérer l’émergence des nouveaux variants, nous sommes en train de muscler notre jeu : un vaste plan national de surveillance génomique est en route avec l’analyse fouillée de l’identité génétique du virus et côté malades, de nouveaux kits qui pourront identifier la version anglaise dès le premier prélèvement sont attendus

Le spécialiste de ces questions rappelle qu’il y a deux méthodes pour identifier les mutations. « La première – par ces kits spécifiques ou un autre appelé thermo Fisher – est uniquement une approche de suspicion des variants anglais et sud-africain. Elle permet de dire quelles sont leur progression et leur influence sur le nombre de cas en France. La seconde est une technique de séquençage (l’analyse complète du génome du virus), qui, elle, est sans a priori. Elle permet de surveiller de manière globale la survenue de mutations. » Problème, sur cette politique de séquençage, « non seulement la France a eu un retard à l’allumage, mais elle peine a le combler. Les informations issues de la surveillance des variants remontent très lentement », tranche le professeur Bernard Charpentier, nouveau président de l’Académie de médecine.

Sauf que… ça pourrait ne servir à rien ! Selon certains spécialistes, c’est précisément le temps qu’il faut au variant britannique pour prendre le dessus sur la souche classique. Et quand il sera majoritaire, plus besoin de l’identifier…Kafka n’est pas loin !

Des épidémiologistes considèrent qu’il faudrait attendre que 60 % de la population soit immunisée pour profiter de l’immunité collective. On en est loin. À ce jour, moins de 20 % des Français sont complètement vaccinés (38 % avec la première dose).

Le masque malgré tout

Depuis plus d’un an, le masque s’est incrusté dans notre vie quotidienne. Partout, dans les magasins, au bureau ou dans les transports, les visages sont escamotés.

Ce bout de tissu de quelques centimètres carrés est même devenu le symbole de l’épidémie. Mais aujourd’hui les Français ont hâte de le jeter dans la première poubelle. Non seulement parce que son usage est contraignant, mais surtout parce que sa disparition signifierait que le Covid est enfin derrière nous. Plus de masque, plus de virus ! Tournons la page ! Retrouver sur les trottoirs la couleur du rouge à lèvres d’une belle jeune fille ou l’esquisse d’un sourire signifierait alors la promesse d’un retour à une vie normale. Les Français s’impatientent : donnez-nous une date !
Pourtant, il y a fort à parier que dans les lieux fermés, à l’école, au cinéma, nos visages seront encore masqués à la rentrée de septembre. Peut-être même au-delà, dès lors que nous sommes responsables de notre comportement (retrait de masque).

Avec le Covid, désormais on devine comment une maladie virale respiratoire se propage : rien de mieux que cet écran pour éviter grippe, rhume ou gastro-entérite. Demain, le masque sera sans doute devenu un accessoire comme un autre, au fond de notre poche à côté du portable. On le sortira pour nous protéger des virus de l’hiver ou d’une promiscuité trop gênante.

Même vaccinés, les New-Yorkais restent couverts, pourtant autorisés à tomber le masque s’ils sont immunisés, ils ne baissent pas la garde. Avec 33.000 morts du Covid-19, ils ont payé un lourd tribut et demeurent prudents, même si les indicateurs passent au vert. Ce n’est pas moi qui vous dirai « bas les masques ! ».

Tout ce contexte suspicieux alimente un scepticisme rampant. C’est que le temps scientifique n’est pas le temps médiatique. On en apprend tous les jours sur ce virus. Souvent on reste sur sa faim. La particularité de cette pandémie tient au fait que pratiquement personne, en dehors de Bill Gates, ne l’avait seulement imaginée.

La science, discipline évolutive et instable par nature, cherche et tâtonne à ciel ouvert. Faut-il s’en offusquer ? Les réponses ne sont pas toujours évidentes. Les professeurs s’interrogent à haute voix et veillent à ne pas fâcher Big Pharma. Tout cela se fait quasiment en direct sur les chaines d’info et sur les réseaux sociaux.

On en oublierait l’essentiel : la mobilisation internationale sans précédent pour trouver de véritables remèdes. 300 équipes à travers le monde y travaillent sans relâche. Aucune découverte magique ! Ils n’ont pas encore réalisé que la Nature est souveraine et que toute molécule chimique agresse l’organisme. Il reste à attendre le retour de la sagesse qui a guidé les hommes jusqu’à l’arrivée des Lumières qui ont bouleversé l’avenir et ne l’ont pas éclairé.

Le dilemme de la vaccination des ados

D’abord, une première question simple se pose : pourquoi immuniser les ados alors qu’ils font rarement des formes graves ? A l’inverse, s’ils ne sont pas immunisés et que les variants continuent se diffuser, de nouveaux foyers épidémiques pourraient émerger chez les ados, quasi aussi contagieux que les adultes. L’apparition de ces variants a changé la donne, obligeant à adapter la riposte. Il ne s’agit plus seulement de protéger les plus fragiles mais d’éviter la propagation du virus. Et pour renouer avec notre vie d’avant, 90 % des adultes doivent recevoir les deux doses, selon l’institut Pasteur et non plus 70 % avec la souche historique.

La haute autorité de santé doit se prononcer sur l’intérêt d’immuniser les 12-15 ans contre le Covid-19. Si le bénéfice individuel est limité, le vaccin réduirait la propagation du virus.

Alors qu’est-ce qu’on attend ? « Si on prend cette décision, c’est moins pour les protéger que pour protéger les autres. C’est ce qu’on appelle l’effet altruiste », explique le pédiatre Rémi Salomon, évoquant un bénéfice individuel limité. Dès lors le débat devient « éthique ». Il faut admettre qu’on n’a pas assez de recul, on ne sait pas s’il y a des effets à long terme, ni s’ils sont efficaces sur les nouveaux variants.

Bravo les Français !

Il faudra évidemment tirer toutes les leçons de cette crise. On se serait bien passé de certains épisodes peu glorieux : les masques qui ne sont pas là, les tests qui se font attendre, les ratés des laboratoires français sur les vaccins ! La fatigue, l’exaspération et la détresse gagnent les plus exposés, comme les jeunes, les artistes ou les restaurateurs. Déjà un an et demi que ça dure. Cette crise du Covid est une épreuve collective. Les Français sont psychologiquement fatigués. Il y a pour les plus âgés la peur du virus et la crainte de contracter une forme grave de la maladie.

Mais c’est surtout la privation de liberté qui est la plus douloureuse pour tout le monde. Les deux confinements et le couvre-feu ont été difficiles à vivre. Le sentiment d’être entravé dans sa vie, de ne pas pouvoir échanger avec ses amis ou sa famille, d’être privé d’apéro ou de repas conviviaux au restaurant mine le moral.

Les polémiques incessantes, les fake news, les professionnels de la critique alourdissent encore un peu plus le climat. Peut-on se résigner à vivre dans une telle ambiance et attendre le moment où tout le monde sera vacciné ? Et si nous regardions le verre à moitié plein ? car dans la gestion de la crise du Covid, les Français ont fait la démonstration de leur résilience, mot en vogue qui désigne justement cette capacité à surmonter les chocs. Tout le monde y a pris sa part : citoyens, soignants, experts, élus nationaux ou locaux. On remarque un comportement français qui nous distingue.

Nos écoles sont celles qui sont restées les plus ouvertes dans le monde, grâce à la détermination et au courage des parents et des enseignants.

Nous avons été parmi les plus respectueux des gestes barrière pendant les fêtes de fin d’année, ce qui nous a permis de retarder (ou peut-être d’éviter) un reconfinement que tout le monde considérait comme acquis. La chute de l’activité économique, d’abord très marquée, est moins sévère grâce aux couvre-feux.

A l’hôpital, la mobilisation des soignants a permis d’éviter à la France de connaître des bilans encore plus dramatiques comme ceux des Etats-Unis ou de Grande-Bretagne. Il ne s’agit pas là d’une vision de Bisounours mais d’un constat lucide qui n’occulte en rien les insuffisances constatées par ailleurs et les souffrances endurées. Tout reste fragile.

L’Histoire nous a montré que ce sont les grandes occasions qui font les grands peuples. Voilà pourquoi nous disons : « Bravo les Français ! ».

Des buts pour rendre le sourire

Les Français rêvent d’insouciance. La réouverture des terrasses et des commerces le 19 mai a été une première libération. Chacun a apprécié le plaisir d’un pot ou d’un petit resto. Les contraintes liées au Covid tombent les unes après les autres La vaccination donne des envies de liberté. Vivement la fin des masques, au moins à l’extérieur ! Pour que le bonheur soit complet, rien de tel qu’un grand moment de communion nationale.

Heureusement, l’Euro, la grande compétition européenne débute avec un an de retard. Les Français laissent exploser leur impatience. Les plus anciens n’ont pas oublié les victoires de la « dream team » menée par Zidane et Deschamps à la Coupe du monde de 1998 et à l’Euro 2000.

Après l’ouverture des terrasse et le couvre-feu à 23 heures, le lancement de l’Euro redonne le goût de l’enthousiasme. Il coïncide avec un début de reflux de l’épidémie.

Difficile dans cette vaste arène à demi vide d’y oublier le Covid : les supporteurs doivent être masqués et assis, munis d’un pass sanitaire ou d’un test PCR. Dans les bars, personne debout, en terrasse comme à l’intérieur. C’est donc à la maison que les Français se préparent à jouir pleinement du moment. Beaucoup se sont équipés d’écrans télé et de rétroprojecteurs à la hauteur de l’événement. Moments de grâce à partager en famille. Bandes de copines, mères ou compagnes, conquises depuis peu par le ballon rond, les femmes seront aussi de la fête.

Elles ne bouderont pas leur plaisir ! Elles aussi vibrent pour les beaux gestes et les exploits de l’équipe de France, le sentiment de fierté n’a pas de genre.

Quelle bonne surprise, cet Euro ! On relève la tête, et voilà qu’apparaît la promesse d’un mois de joie, de suspense, d’adrénaline, des émotions intenses qui pourraient détrôner nos tourments sanitaires.

Pour sortir de ce confinement, on ne demande qu’à vibrer pour se changer les idées et repartir du bon pied.

Un beau parcours de l’équipe de France peut contribuer à sortir de la sinistrose. Le bonheur est là, à portée de main.